La Comtesse du cimetière de Montevideo

Au mois de janvier 2012, je vous avais présenté El Cementerio Central (le cimetière central) de Montevideo que je trouve très joli bien que ce ne soit peut-être pas le lieu touristique numéro un que l'on ira visiter une fois à Montevideo. Dans cet article, je vous avais parlé d'une tombe surprenante du nom de Mademoiselle Antoinette Mathilde, Comtesse de Brayer, décédée le 31 décembre 1859.

Suite à un regroupement d'information et à l’enquête d'un journaliste de Montevideo, je vais vous donner plus de détail sur cette histoire. En vérité, cette Comtesse est reliée à l'Empire de Napoléon et son valet Louis Marchand. On pourrait se demander en effet comment une Comtesse a pu se faire enterrer dans le cimetière de Montevideo, pays républicain et si loin de la mère patrie.

L'histoire de cette Comtesse est assez complexe mais passionnante. Dans la première partie du cimetière, on peut apprécier la Rotonde (ou bien appelé aussi le Panthéon) dont on trouve à l’intérieur, une sculpture La Piedad (La pitié) qui fut l’œuvre du sculpteur italien José Leva. Je vous avais parlé de ce sculpteur dans l'article de la colonne de la Paix car ce fut lui qui fut choisi afin d’agrémenter la colonne avec une sculpture. Ce même José Leva fut celui qui sculptera le monument funéraire de la Comtesse de Brayer dans ce cimetière.

La Comtesse de Brayer est la fille d'un fameux général de brigade des guerres napoléoniennes, Michel Silvestre Brayer (1769-1840), Baron de l'Empire puis qui deviendra Comte par décret impérial le 2 juin 1815. Sa mère était la Baronne allemande Marie Philippine de Freyberg-Hopferau. Le Comte avait connu et séduite cette Baronne de Bavière durant la campagne du Rhin en 1803 mais le père de celle-ci voulut prévenir le scandale en la conduisant dans un monastère. Philippine se fit enlever par le bel officier qu'elle suivra en France et où elle régularisa son union avec lui. Il semble qu'elle demeura assez longtemps sans être admise à la cour impériale.

Ils eurent ainsi trois enfants: Mathilde Brayer (30 mars 1805-?), Alfred Hermann Gaspard Brayer (1807-1863) et Michel Silvestre Philippe (1813-1870). D'un mariage précédent, le général avait eu Lucien, Comte de Brayer et Antoine-Anselme.

Le général Brayer fut un grand chef militaire mais au second retour de Louis XVIII (restauration des Bourbons), il fut porté sur la liste des Proscrits de l'Ordonnance du 24 juillet 1815 et condamné à mort par contumace. En 1816, il se réfugia en Prusse puis à Baltimore aux États-Unis. Il laissera sa femme et ses enfants derrière. Parti de Baltimore avec le général José Miguel de Carrera en 1817, commandant de l’armée des indépendants du Chili, ils partent à la tête d'une petite flottille dont la frégate Clifton vers Buenos Aires. A ce moment là, il devint connu sous le nom de Miguel Brayer. Mais la petite flottille fut réquisitionnée à Buenos Aires et ils décidèrent de passer par Montevideo et poursuivront le périple par voie terrestre jusqu'au Chili afin de combattre la main mise des espagnols sur ce pays. Ci-contre, une lettre manuscrite de Carrera datée du 12 décembre 1817 et qui parle de Brayer entre autre.

Au Chili, l’aîné de ses fils, Lucien, le rejoindra avec un des anciens aides du camps du général, Molin Saint-Yon. L'expérience de Brayer était de loin supérieur à celui de tout autre officier de l'armée chilienne. José de San Martín, commandant de l’Armée des Andes, le nommera chef d'état-major et deviendra second du général Bernard O'Higgins. Malheureusement, la valeur et la fierté de Brayer se heurteront à l'orgueil du ''général des Andes'' José San Martín et il sera éjecté de l’armée des Andes en 1818. On parle aussi d'un complot des officiers français (Alfonse Barberot, Lucien de Brayer, Jean Valerie Bulewsky, Antoine Druet, etc) qui aurait eu lieu afin de renverser José de San Martín et de le remplacer par le général Carrera. Il retournera à Montevideo où il vivra avant de repartir vers la France en 1821.

Mathilde de Brayer (son portrait à droite se trouve au musée national des châteaux de Malmaison et de Bois-Préau) a hérité du titre de Comtesse par son père quand elle avait 10 ans. Elle contractera un mariage avec Louis Joseph Narcisse, fils de Charles Joseph Marchand et de Marie Marguerite Broquet. Grâce à Marie Broquet et de Madame de Montesquieu, Louis entrera dans la maison impériale en 1811 comme employé domestique.

Sitôt rentré au service de Napoléon, Louis Marchand se distinguera par son intelligence et sa dévotion. Il n'est âgé que de vingt ans. Au moment de l'abdication de Napoléon, il le suivra à Sainte-Hélène. Dans son lit de mort, l'empereur accordera à Marchand le titre de Comte. Répondant au vœu exprimé dans le testament de l'empereur, Louis Marchand devait épouser la veuve ou la fille d'un officier de la garde impériale.

Ce qui fut fait par l'entremise de Charles-Tristan de Montholon car le 15 ou le 19 Novembre 1823, il épousa Mlle Antoinette Mathilde Brayer (notre Comtesse âgée de 18 ans seulement) dans l'église de Notre-Dame-de-Lorette. Ce fut un grand événement et de rencontre pour tous les membres du parti bonapartiste. De ce mariage naquit, au mois de septembre 1824, une fille, Malvina, qui se maria le 1er juillet 1845 avec Edouard-Bernard-Albéric Desmazières à Paris.

On sait par l'entremise d'une revue sociale uruguayenne de l’année 1900 que la Comtesse Mathilde était à Montevideo en 1843. On y voit une photo d’époque qui montre trois dames très distinguées des époques glorieuses de Montevideo. Ces trois dames en question dans l'article ainsi que de la photo font référence à ''Mademoiselle Condesa Matilde de Brayer, Doña Carlota Sustacha de Cbiriffe y Doña Corina Oromí de Villegas''.

On sait aussi que Lucien (ou Luciano en espagnol), demi-frère de Mathilde fut en Uruguay suite à son retour du Chili avec son père. Le 28 juin 1827, on trouve un écrit sur Luciano qui sera diplômé sergent-major de l’armée dans la ville de Canelones par le général en chef des armées, Don Rafael Hortiguera. En 1828, alors âgé de trente-deux ans, il commanda un régiment de la République à Montevideo comme officier supérieur des troupes et gravitait avec Manuel Oribe. En 1835, on trouve un article du gouvernement qui dit que ''El gobierno conforme al articulo 3º del decreto del 16 del corriente a acordado Art. 1 quedan reformados y dejan de pertenecer al ejercito los coroneles…'' Le Comte Lucien Brayer fut un de ceux qui signa cette charte.

Par contre, il reste énormément de questions car si les premiers procédés photographiques sont arrivés en Uruguay autour de 1840, nous pouvons assumer que notre Comtesse était à Montevideo aux alentours de cette date:

• Pourquoi était-elle sur Montevideo?
• Aura-t-elle été influencée par son défunt père ou son demi-frère? 
• Et son mari? Une autre question qui surgit à l'esprit est l'utilisation du nom de famille utilisé Comtesse de Brayer au lieu de celui de son mari.
• Le monument funéraire est une autre question car il était assez cher pour cette époque donc comment subvenait-elle à ses besoins?
• Est-ce que sa fille, Malvina, était avec elle sur Montevideo tout en sachant qu'elle se mariera avec Edouard Desmazières en 1845 en France?

Toutefois, un groupe de généalogistes français a fait des recherches et ont découvert dans les fichiers alphabétiques de l'état civil reconstitué (XVIe siècle-1859) de Paris qu'elle s'appelait : Régule-Philipine-Anne-Marie-Caroline-Auguste-Mathilde Brayer et serait morte à Paris le 21 janvier 1881 à 75 ans. Elle était la fille de Michel Silvestre, Comte de Brayer et Philippine de Freyberg Hopfran et veuve du Comte Louis Joseph Narcisse Marchand (il décéda le 21 juin 1876 à Trouville).

Encore plus surprenant, il existe le registre d'une tombe au cimetière du Père Lachaise à Paris avec le nom de Marchand Mathilde-Marie-Anne née Brayer Comtesse.
 

On s’aperçoit que les dates du décès sont différentes de 22 ans (1859 au cimetière de MVD versus 1881)! Cela voudrait-il dire que dans le cimetière de Montevideo, nous aurions affaire à une autre personne? Ou bien, le tombeau du Père Lachaise ne contient pas le corps de la Comtesse de Brayer?

Je suis d'accord avec les questions posées par le journaliste mais je rajouterais trois questions troublantes supplémentaires qui me viennent à l'esprit quand je regarde mes photos:

• On voit le prénom d'Antoinette alors que celui-ci n’apparaît pas dans le registre civil reconstitué
• On voit l'inscription ''Son pere, sa mere et son frere inconsolables'' mais on sait que la Comtesse avait deux frères et deux demi-frères donc pourquoi pas ses ''frères''
• Pourquoi, voit-on en gros sur la tombe ''La familia de Luciano de Brayer'' et non ''La familia de Brayer'' ce qui engloberait la majorité de la famille?

Peut-être qu'une des résolutions à cette énigme se trouverait dans les registres du Cimetière Central de l'Intendance de Montevideo. N'oublions pas que Luciano a vécut quelques années sur Montevideo donc se serait-il marié avec une personne de Montevideo (française ou pas)? Etant donne qu'il était Comte, il aurait pu avoir une fille, Antoinette, qui recevra le prénom de sa tante, Mathilde, et un titre de comtesse...extrapolation?
Je n'ai pas réussi à trouver de l'info biographique sur Lucien ou Luciano.

Sur la tombe, on peut lire ceci ci-dessous:

 

De plus l’écusson familial est présent sur la tombe. Voici celui de la famille de Brayer

Et voici celui sur la tombe

Mystère...quand tu nous tiens....

A bientôt