Montevideo a été une ville qui a eu une multitude de théâtres, de cinémas, de salles de concert comme la plupart des grandes villes. Malheureusement au fil des années et des époques, nombres d'entre eux ont fermé à cause d'une baisse d'audience, d'augmentation des loyers, du changement des goûts de gens avec l’avènement de la télévision ou de la radio, de la dictature qui fermera bon nombres de lieux culturels, spéculation des terrains, etc.
Nous allons parler dans cet article d'un de ces théâtres qui fera vibrer la culture avec un grand C durant la belle époque de Montevideo: Le Teatro Urquiza qui se trouvait aux coins des rues Mercedes et Andes. Comme vous pouvez le voir, j'utilise le passé dans mes verbes car celui-ci n'existe plus de nos jours. Vous trouverez l'explication de cette disparition à la fin de cet article.
L'architecte de ce théâtre fut l’ingénieur (militaire) Don Guillermo West mais les plans de ce bâtiment furent la main de son collègue architecte Horacio Acosta y Lara (surtout la façade du bâtiment). Le développeur et le futur propriétaire de ce théâtre était un citoyen argentin de Buenos Aires du nom de Dr. Justo G. de Urquiza. Il n’hésita pas à investir une forte somme d'argent afin de donner un nouveau lieu culturel autre que le Teatro Solís à la ville.
Le nouveau bâtiment a remplacé un ancien théâtre sur le même site appelé le Teatro de Verano (1890-1902). La construction du Teatro Urquiza commence le 1er décembre 1903 et fut inauguré en septembre 1905. Le théâtre était ''simple'' de l’extérieur (voir la photo ci-dessous) mais était extrêmement élégant à l’intérieur avec une préférence pour l'art nouveau rendu sans des exagérations et sans trop de détails excessifs aussi.
Le 5 Septembre 1905, l'inauguration du Teatro Urquiza se fera en grande pompe avec un spectacle de la grande actrice française Sarah Bernhardt. C’était sa troisième visite à Montevideo car elle avait deux représentations à son actif au théâtre Solís en 1886 et en 1893. Lors de son arrivée à Montevideo, elle souffre d'une blessure au genou et sera vu par plusieurs médecins envoyés par l'ambassade de France.
Finalement, le Dr Alfredo Navarro, une des grandes figures de la médecine nationale et qui l'a soigne, lui conseillera un repos d'une semaine avant de monter sur la scène du théâtre. Ne pas oublier que la diva avait environ soixante ans à ce moment là mais elle n'a pas tenu compte de l'avis du docteur, et en collusion avec l'employeur, montera sur la scène le jour de la première comme stipulé.
Elle jouera dans la pièce "La sorcière" de Victorien Sardou, membre de l'Académie française. La pièce en cinq actes fut un triomphe mais le crédit sera surtout porté par la presse locale au courage de Sarah Bernhardt malgré sa blessure et qui ne voulait pas décevoir la salle qui affichait complet.
Notons que la scène française aura une présence particulière avec un défilé de grands acteurs ou d'actrices avec, en plus de la grande Sarah Bernhardt, Aurelien Lugné-Poë (1869-1940), Suzanne Després (1875-1951), Charles Le Bargy (1858-1936), Lucien Guitry (1860-1925), Louis Jouvet (1887-1951), Maurice de Feraudy (1859-1932), Vera Sergine (1884-1946), Gabrielle Dorziat (1880-1979), etc. D'accord, j'avoue que je ne connaissais pas un quart de ces noms mais grâce à l’écriture de mes articles, je découvre des choses tous les jours! Cependant, ceci nous montre aussi la richesse de la culture à cette époque pour ce petit pays.
Dans le domaine de l'opéra classique, le théâtre accueillera le ténor italien Enrico Caruso (1873-1921) et le baryton italien Titta Ruffo (1877-1953) en interprétant "I Pagliacci" de Leoncavallo. Les œuvres de Jacinto Benavente, Luigi Pirandello et Gregorio Martínez Sierra seront jouées aussi au Teatro Urquiza. A noter qu'à Montevideo durant le mois d’août et ce à chaque année, on célébrait le mois de l’opéra classique avec les plus grandes figures du monde lyrique. Ceci permettait à la ville de sortir ses plus beaux atouts avec ses défilés d'élégance de la société de Montevideo.
Orchestre de Tango de Raul Courau (Raul est le pianiste) qui se produira en 1927 au théâtre |
On trouvera aussi dans une annexe du théâtre, les bureaux de représentation de la maison Lepage ouverte en 1911. La maison Lepage était une société de Buenos Aires et son propriétaire se trouvait être le belge Eugène Py. Cette maison Lepage était dédiée à la vente et la distribution de films, d'article photographiques, de phonographes et autres. C'est dans cette branche qu'un certain Bernardo Glücksmann travaillera durant sa jeunesse avant de devenir le principal employeur de l'industrie cinématographique en Uruguay en ouvrant une chaîne de cinéma dont le cinéma Buckingham qui deviendra le cinéma Rex dont j'en parle ici.
Une superbe photo de Danny J. Higgins |
Suite à la loi de 1929, le Teatro Urquiza deviendra el Estudio Auditorio del Sodre (le studio Auditorium du Sodre) et propriété de l’État en même temps. En 1931, la salle sera remodelée (c'est à dire détruite à l’intérieur) et commence une nouvelle ère. La musique deviendra l’élément principal de la nouvelle ère de la salle avec des soirées mémorables: Rubinstein, Stravinski, Toscanini, Ségovie, Villa Lobos, entre autres. Dans les années 50/60 et le commencement de l'architecture du tout béton, on altérera la façade du théâtre avec l’installation d'un pan de la façade en béton et de verre tout en conservant l'architecture originale sur les côtés du bâtiment.
Malheureusement, le malheur va s'abattre sur le théâtre le 18 Septembre 1971. Un violent incendie dévastateur va ravager et détruire complètement le bâtiment. L'incendie débuta vers 17h05 et fut assez violent pour faire reculer les pompiers de la salle principale dont le toit s’écroula sur la scène. Leurs buts furent de sauver les salles avoisinantes et les bâtiments aux alentours afin d’éviter la propagation des flammes. Ces salles du théâtre à sauver étaient la cinémathèque, la salle des archives des bandes magnétiques, les studios des radios officielles, les archives musicales (les disques).
Plus de quarante pompiers combattront cet incendie. Des fonctionnaires qui travaillaient dans un bâtiment voisin ont commencé à sauver les archives musicales en formant une chaîne humaine afin d'extraire de précieuses collections de manuscrits musicaux parmi lesquels se trouvaient la plupart de celles des auteurs Uruguayens mais dont un grand nombre n'avait pas de copies. Également sauvés des salles d'innombrables partitions orchestrales qui faisaient partie du témoignage et de l'histoire musicale de ce théâtre. Mais la chaîne humaine sera forcée de se retirer à la demande des pompiers pour cause d'insécurité.
A 20h00, une fois l'incendie plus ou moins maîtrisé, les pompiers autorisèrent les musiciens à rentrer par une porte de derrière afin de chercher les instruments qui n'avaient pas été endommagés par le feu. On sauva un clavecin et une viole Guarnerio de grande valeur, un cor anglais dont on ne faisait plus la fabrication depuis bien longtemps et d'autres pièces d'instruments importantes.
Quelques jours après l'incident, les pompiers déclarent que le feu avait été causé par des raisons fortuites puisque il avait commencé dans de vétustes boîtiers qui contenaient d'anciens systèmes électriques ce qui par conséquent, dissipa les doutes au sujet d'un certain ''type d'attaque''.
Pourtant, les chroniques de l’époque démontraient que la protection et l'isolement avaient été accomplis avec succès afin d’éviter toute propagation. Cet incendie fut le quatrième qui ravageait un théâtre de Montevideo en l'espace de quelques années. N'oublions pas que la dictature de la junte militaire était en préparation en 1971 donc devrions-nous y faire une relation entre les prémices de la dictature et la destruction de ce théâtre qui représentait généralement pour les militaires les milieux de tradition gauchiste? Il n'y a qu'un pas à franchir mais cela n'engage que moi. Juste une opinion perso mais sans preuve. On collait bien les pages de la fable de la cigale et de la fourmi dans le livre de lecture de ma conjointe car les militaires y voyaient un message subversif...
En face de cet incendie, on aperçu beaucoup de simples gens qui pleuraient la perte de ce théâtre. Nombres d'artiste des milieux du spectacle se retrouvèrent tous unis avec tristesse devant la désolation et l'imprévu de ce spectacle. L'incendie emportera quand même la scène, le toit, la salle des accessoires et les autres dépendances, la machinerie et une grande partie des archives. La cinémathèque subira aussi de grandes et lourdes pertes.
Pendant de longues années, le coin des rues Mercedes et Andes restera silencieux. Quand on marchait le long de l'ancien théâtre, on pouvait s'imaginer le bourdonnement de la foule des grands soirs dans la nuit des temps.
Aujourd'hui, on retrouve aux coins des rues Mercedes et Andes el Auditorio Adela Reta (l'Auditorium Andes Adela Reta). Évidemment, le nouveau théâtre n'a pas le même ''sex-appeal'' de l'ancien Teatro Urquiza avec sa façade extérieure carrée et bétonnée mais l’intérieur fait jeu égal aux théâtres des plus grandes villes de cette planète. Il est possible de visiter l’intérieur du Sodre certains jours de la semaine et d'y voir de très bons spectacles pour tous les goûts.
Chau!
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