Je vais vous parler de l'impact de l'immigration européenne, dont celle de France, en Uruguay vers la fin du XIXe siècle/début XXe siècle. Cet apport a été un atout majeur et immense pour le pays dans tous les domaines, c'est à dire artistique, culturel, économique, culinaire, mœurs, mentalité, loi, architecture, etc. C'est à cause de cette immigration que l'Uruguay fût prénommé la ''petite Suisse'' d’Amérique du sud fin XIXe/début XXe siècle.
Durant cette époque, Montevideo (comme Buenos Aires d'ailleurs) n'avait rien à envier à Paris, Milan, Madrid, Londres. Montevideo jouait sur le même pied d’égalité que ces grandes villes européennes. On n’hésitait pas à citer les noms de Montevideo et Buenos Aires dans les salons chics de Paris comme la destination en Amérique du sud.
De nombreux artistes français ou européens passeront par Montevideo comme la célèbre Mistinguett, la cantatrice Ninon Vallin, la chanteuse et danseuse Carolina Otero, etc. Mais on pourra dire que ces échanges furent du même calibre en provenance de Montevideo vers la France (surtout Paris) avec de nombreux architectes qui viendront faire leurs études aux Beaux-Arts, des écrivains, des avocats, des médecins, des peintres, etc.
Basé sur ce que je peux voir de cette époque dans les musées ou les maisons particulières, on peut voir que ces époques fin XIXe siècle/début XXe siècle ont amené le meilleur que l'on pouvait trouver en Europe comme la vaisselle, les meubles, la machinerie dans les usines, les décorations dans les maisons, les appareils médicaux, les matériaux de construction, etc. Incroyable de voir tous ces objets qui venaient du vieux monde! Vraiment des périodes qui ont été prolifiques dans tous les aspects de la société uruguayenne.
Cette immigration a amené toutes les couches de la societe française ou européenne. Mais une majeure partie fut une immigration en quête d'une nouvelle vie et d'un meilleur confort même si cela ne fut certainement pas facile pour une majorité d'entre eux en dehors des centres urbains.
Introduction
"Les artisans sont en majorité des émigrants des Provinces Basques comme par exemple des ébénistes, des maçons, des forgerons, etc. et forment un groupe formidable. On suppose qu'ils sont près de dix mille. Ils apportent et retiennent leurs coutumes et forment un petit monde très uni et soudé. Ils ont leurs propres lieux de distraction comme des salles de billard, des cafés, des salles de bal, etc. Durant les dimanches et les jours de foire, les jeunes de Montevideo vont jouer à la pelote basque quand ils ont des désirs de s'amuser. Beaucoup de ces femmes Basques sont extrêmement jolies et très vivaces. Généralement, ces Basques parlent autant français qu'espagnol car leurs provinces se trouvent entre ces deux pays; mais parlent aucune des deux langues avec un accent pur, comme on peut l'imaginer. Ils ont quelques bons groupes de musique et réellement je ne connais pas de gens qui semblent s'amuser autant qu'eux. Plusieurs d'entre eux sont devenus riches en peu d'années grâce à la forte demande en construction de maisons dans une grande partie de la ville. Ils constituent une classe intelligente, modérée et ont la fibre industrielle."
La transcription ci-dessus provient d'un auteur anglais qui visita l'Uruguay en 1842. Montevideo apparaît comme une ville vraiment cosmopolite: "Il y a peu de lieux dans le monde (et surtout par rapport à sa taille) où la communauté est formée de tant de différentes nations. Ici, on peut trouver pêle-mêle dans la ville des Espagnols, Brésiliens, Italiens, Français, Anglais, Portugais, Allemands, Hollandais, Suédois, Prussiens et parfois des Russes, des Américains, et des habitants de Sardaigne." Ainsi fut décrit Montevideo par W. Whittle dans son "Journal de voyage du Rió de la Plata'' qui incluait ses observations faites durant sa résidence à Montevideo et publié à Manchester en 1846. Ces observations montraient la diversité de la ville de Montevideo à la fin du XIXe siècle.
Histoire de cette immigration
Définitivement, on peut dire que l'apport français eu un impact très important autant dans la société uruguayenne que dans sa culture durant de longues années. La supériorité des immigrants français a été signifiante jusqu'à la Grande Guerre (1839-1851) parmi la population de Montevideo. Entre 1835 et 1842, selon les statistiques des débarquements des bateaux Isabelle et Vaillant, 33.000 Européens arrivèrent à Montevideo. De ce contingent, les français sont en tête avec de 15.000 à 18.000 émigrants suivis par 8.300 espagnols et 7.900 Sardes (habitants de Sardaigne). A peu près tous ces émigrants s'établissent sur Montevideo qui compte aussi 40.000 habitants (on parle presque d'un rapport de force quasi égal).
Même les colonies proches de la France comme, par exemple l'Algérie, ne recevaient pas une si grande affluence d'immigrants. L'immigration européenne n'a pas inondé les pays comme l'Uruguay ou l'Argentine comme un flot incessant mais plutôt par vague successive.
Qui sont ces émigrants?
Les dits émigrants français sont arrivés de différentes régions en trois grandes vagues successives durant le XIXe siècle.
La première grande vague commencera avec la déclaration de l'indépendance de l'Argentine et de l'Uruguay et s'étend jusqu'en 1837. Cette première vague de ces émigrants français arrivera sous le mandat de Bernardino Rivadavia, qui vers 1825, encouragea les immigrants français à venir s’installer sur l'Argentine. Mais les querelles internes en Argentine poussent plusieurs de ces émigrés vers l'Uruguay. De passage à Paysandú en 1833, Arsène Isabelle constate à cet endroit que "le commerce était assez fleurissant ... : il y avait environ soixante français établis, mais beaucoup allaient et trafiquaient des produits du pays mais qui étaient les mêmes qu’à Buenos Aires". Cette première vague est constituée à majorité de Basques (ou Euskariens) des contreforts occidentaux des Pyrénées.
La deuxième grande vague qui arriva vers les rives de l’Uruguay et qui sera la plus importante se fera surtout sous la présidence de Fructuoso Rivera : les facilités octroyées pour l'installation de ces émigrants dans la République Orientale agirent comme un attrait très significatif pour beaucoup de ces émigrants venant des contreforts des Pyrénées, du Béarn (Basses-Pyrénées) et de la Bigorre (Hautes-Pyrénées). Fructuoso Rivera fut l’élément déclencheur de cette forte immigration française vers l'Uruguay.
Ci-dessus, à gauche, le blason de la Bigorre et à droite celui du Béarn.
La troisième grande vague se produit après la Grande Guerre d’Uruguay à partir de 1850. Cette vague supplémentaire sera plus globale car les émigrants représenteront différentes régions (Savoie, Île de France, etc.) ou villes (Amiens, Tours, etc.) dont la capitale (Paris) mais les Gascons et les Provençaux seront majoritaires. On sait, par exemple, que les premiers départs de la Savoie vers l'Uruguay se produisent en 1855. Les premiers groupes s'installant dans le département de Colonia. En 1873 et 1874, des familles entières laissèrent leurs villages, partant en majorité du port de Genève, mais cette fois avec comme destination exclusive l'Argentine.
La prédominance de Montevideo comme port d'arrivée se doit à trois facteurs:
- Montevideo est un port naturel alors que Buenos Aires ne l'est pas et de nombreux travaux durent être faits pour lui donner de l' importance;
- La campagne pro-immigration du président uruguayen Rivera;
- La perte de prestige du gouvernement de Rosas en Argentine.
Un flot continue d’émigrants français se dirigera vers le Paraguay, la Province d'Entre Rios (la province d'Entre-Rio était une subdivision de l'Argentine située au nord de Buenos Aires, au sud de la province de Corrientes, à l'est de la province de Sante Fe et à l'ouest de l'Uruguay), Buenos Aires et l'Uruguay. Comme disait le professeur Jacques Duprey, la troisième partie de la population de l'Uruguay (après les uruguayens et les indigènes) durant le deuxième tiers du XIXe siècle, est née en France ou était de descendance française.
Fête du 14 juillet en 1900 par la légation française dans le Palacio Jackson |
Il est nécessaire d'ajouter à ces embarquements massifs, qui varient d'une rive à l'autre du Río de la Plata (Argentine ou Uruguay), un grand nombre d'entrées individuelles plus ou moins clandestines. Ces entrées individuelles étaient l'acte de beaucoup de marins abandonnant les bateaux marchands qui jetaient l'ancre sur les rives, attirés par les différentes facilités que le pays offrait (comme l’accès à l'eau, au bois et surtout de la viande).
Les autres entrées individuelles non déclarées seront beaucoup de ''déserteurs'' de la flotte de guerre française qui prennent terre durant les escales. On démontrera que pendant de nombreuses années, et avec la connivence des autorités militaires locales, que ces recrues expérimentées étaient recherchaient car ils leur fournissaient des avantages multiples (hommes en santé, jeune, carrière militaire, etc.) et c'est pour cela qu'on ne trouvera nul part des poursuites de désertion envers ces marins de la part des autorités françaises.
Les autres entrées individuelles non déclarées seront beaucoup de ''déserteurs'' de la flotte de guerre française qui prennent terre durant les escales. On démontrera que pendant de nombreuses années, et avec la connivence des autorités militaires locales, que ces recrues expérimentées étaient recherchaient car ils leur fournissaient des avantages multiples (hommes en santé, jeune, carrière militaire, etc.) et c'est pour cela qu'on ne trouvera nul part des poursuites de désertion envers ces marins de la part des autorités françaises.
Les Basques nés en France, mais non francophiles, abandonnent leurs contrées natales des provinces de Labourd, Basse Navarre et de Soule par la frontière terrestre franco-espagnole. Ils embarquent depuis les provinces sœurs de Guipuzcoa et de Bizkaya en se déclarant de nationalité espagnole afin d’éviter les contrôles français et les possibles obligations militaires. Plusieurs, par négligence ou par ignorance ou bien par calcul, sortent de ces provinces sans documents français ou alors les ’’perdent’’ en cours de route.
On verra aussi des hommes politiques irréguliers, des républicains, des bonapartistes et des socialistes qui ne passent pas non plus par les services consulaires de la Maison de Bourbon-Orléans. Des émigrants analphabètes qui embarquent au moyen d'un accord verbal avec des commandants français de bateau du sud-ouest (surtout Bordeaux) et qui débarquent sans aucun contrôle sur les côtes.
Des français endettés en France, au Brésil et en Argentine qui changeront leurs noms en consonance espagnol afin de ne pas se faire dépister par leurs créanciers et qui traverseront facilement les frontières.
En 1835, le gouvernement oriental fonde la Villa del Cerro, la future Cosmopolis, avec le projet que les émigrants du vieux monde fassent leur apprentissage de ''l'Amérique'' à cet endroit. Ne pas oublier aussi qu'a cette époque, on trouve un Ministre de la France en Uruguay qui se rapporte directement à la France.
Arrivèrent à cette même époque aussi des contingents d'Anglais, dont leurs vocations sont réparties entre le commerce et le bétail. C'est eux qui construiront, entre autre, le réseau des chemins de fer du pays. Un flux permanent amène les émigrants Espagnols et les Italiens à quitter leur mère patrie appauvrie.
Banquet au Club Español (1903) |
Fin de cette première partie sur l'immigration française. La suite dans la Prise 2
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