dimanche 14 octobre 2012

L'histoire des Saladeros (les saloirs)

On va parler d'une industrie qui a révolutionné le pays et qui aura laissé une empreinte très importante en Uruguay: Les Saladeros (les saloirs) qui auront une relation direct avec les entrepôts frigorifiques. Afin de faire cet article, je me suis permis de puiser la majorité de ces informations à travers une étude de Loïc Ménanteau et René Boretto Ovalle.

Définition d'un saladero: Un saladero est un saloir qui servait une industrie de base en produisant de la viande salée, comme le charqui. Ce fut une des premières industries en Argentine et en Uruguay qui profita de la grande disponibilité du bétail tout en utilisant une technologie rudimentaire et une main d’œuvre peu chère.

Ces saladeros (ainsi que les entrepôts frigorifiques) ont joué un rôle essentiel et majeur dans l’économie du pays entre le milieu du XIXe siècle jusqu'au milieu du XXe siècle. Au nombre d'une vingtaine, ils ont été le symbole d'une activité économique qui a été florissante et a laissé de nombreuses traces dans le patrimoine industriel du pays surtout le long du Rio de la Plata. La majorité de ces saladeros se trouvaient surtout dans les départements de Paysandú et du Río Negro.

Dans les saladeros, après l'abattage, les desolladores (ceux qui dépouillent les bêtes) séparaient la peau de la viande qui était salée puis empilée (pilas) sur un lit de cornes pour être séchée au soleil selon les mêmes techniques (alternance de couches de sel et de viande dont l'ordre était changé régulièrement) que celle employées pour la salaison du poisson introduites par les Irlandais et les Basques. Par exemple, à Concepción del Uruguay, en 1858-1862, c’était aux Basques, forts de leurs traditions de salage de morue, qu’était réservée cette tache (charque). On appelait les ouvriers de ces saloirs: les peones de saladeros.


Émile Daireaux (Rio de Janeiro 1843 - Paris 1916), journaliste franco-argentin et écrivain décrivait cette tache comme ceci: "Sur une épaisseur de gros sel, on étale une couche de viande et l'on forme une pile de trois ou quatre mètres de côté. A chaque coin, des hommes, la pelle à la main, répandent avec dextérité sur chaque couche de viande une épaisseur de sel. Cette pile s’élèvera à trois ou quatre mètres et contiendra deux milles quintaux de viande. 24 h après, elle sera retournée et reformée à côté, de façon à ce que les couches du bas deviennent celle du haut. Le lendemain, la viande est mise à l'air, et la pile reformée ensuite sur une couche de cornes, où elle finira de s’égoutter. Chaque semaine, elle est remuée et mise au soleil; après quarante jours, elle peut être livrée au commerce"

Pour les cuirs, qui étaient plongés dans des fosses et recouverts de couches de sel (bain de saumure), avant de subir le même procédé, le temps de préparation était plus court (environ 6-8 jours).

Je pense qu'habiter à coté des ces saladeros devait être un véritable enfer de puanteur avec la chaleur. Aujourd'hui, on pourrait les comparer avec nos usines d’équarrissages bien que celle-ci nous offrent un spectacle moins affligeant que ces saladeros d'antan.


On élaborait ainsi le Tasajo, viande séchée et salée, qui était principalement exporté vers La Havane et le Brésil. Rien n’était perdu: ainsi, la graisse, obtenue par pression et chauffage à la vapeur à l’intérieur des chaudières, était exportée dans des tonneaux de bois. Elle servait également pour la fabrication de savon (blanc, jaune ou noir) et de bougies. Les résidus étaient broyés pour produire des engrais, qui, au saladero Liebig de Fray Bentos étaient vendus sous le nom de Guano (je parlerais de Liebig et des entrepôts frigorifiques dans un autre article). Avec les tripes, on confectionnait des cordes à violons.

Comme l’écrivait M. De Fontpertuis vers 1881, “L’Uruguay est le pays du monde où il s'abat le plus de bétail et la péninsule de Fray Bentos, qui se trouve à la limite des confluents que sont le Río Negro et le Río Uruguay, n'est qu'un immense abattoir”.

L’étude historique et l’inventaire, à la fois géographique, architectural et archéologique, des saladeros du Bas-Uruguay ne sont pas encore achevés. Leur développement a engendré un essor économique de la région. Ainsi, la production du saladero de Santa Cándida, appartenant à la famille du général Justo José de Urquiza et situé au sud de la Concepción del Uruguay, a représenté en 1857 jusqu’au quart des revenus de l’ensemble de la Confédération argentine (Martin de Moussy, 1860-64)!

Les premiers essais de salaison de la viande auraient été réalisés dès 1808 dans le saladero de Bartolomé Ortiz (Paysandú).

Après 1850, le premier saladero de la rive uruguayenne, le saladero Román, a été installé, en 1855, par le français Philippe de la Morvonnais. En 1864, un autre français d’origine basque, Pascual Harriague, établit un autre saladero à Salto. À Paysandú, neuf saladeros ont pu être identifiés vers 1860. Cinq d’entre eux, dont deux situés en ville, étaient actifs en 1875, six en 1890, et seulement trois (San Pedro, Nuevo Paysandú et Casa Blanca) en 1895.

On dénombrera aussi environ sept saladeros dans les alentours de Montevideo vers les années 1859. Un des plus grands sera celle de La Teja.

On remarquera aussi qu'une partie de l'approvisionnement en sel des saladeros était amené de Patagones, situé au sud de la province de Buenos Aires, celui de la Pampa étant jugé inadéquat pour la salaison, mais une grande partie était importée aussi d’Europe. Des recherches historiques sur les salines de la baie de Cadix en Espagne indiquent qu’en 1892-1893, 58,99% du sel gaditan était exporté en Argentine, en Uruguay et au Paraguay. Il était préféré au sel en provenance de Liverpool en raison de sa moins grande solubilité et son prix moins élevé.

Son importation a même été taxée d’un droit de 25 centavos d’or par hectolitre. Chaque saladero avait son dépôt de sel. Ainsi, celui de San Pedro de Guaviyú pouvait stocker 25 000 fanegas (une fanègue est l’équivalent de 55.5L) de sel. Il fallait en moyenne 20 fanegas de sel pour 100 têtes de bétail. Ce produit indispensable pour l’activité saladeril était amené par bateau jusqu’au quai des saladeros comme le voilier italien Maria Madre qui atteigna le port de Paysandú en 1902. De nombreuses mentions de navires transportant du sel sont présentes dans les archives portuaires. Les besoins étaient importants: une quantité de 21 millions d’hectolitres de sel (500 tonnes par an) était annuellement nécessaire par exemple pour le fonctionnement du saladero Liebig à Fray Bentos.

L’évolution technologique, l'apparition de la conserverie et de l’électricité, l'apparition du frigorifique, allaient être les causes principales du déclin brutal et de la disparition des saladeros (Ruano Fournier, 1936). Certains saladeros seront remplacés par les frigorifiques, d’autres tombent définitivement en ruines comme celui de la photo ci-dessous.
Ruines du saladero Guaviyú
Ci-dessous, la chronologie de quelques Saladeros industriels

  • Saladero de La Conserva à Salto: Fondé en 1874 par Léon Domec qui forme par la suite une entreprise avec le chimiste parisien Émile Soulez. Ils avaient environ 380 employés. 40 000 bovins par année dans ce saladero qui fabriquera de la viande en conserve pour l'armée francaise, du corned beef pour l'Angleterre, du bouillons concentrés de viande pour les USA et l'Europe.
  • Saladero La Caballada ou saladero Harriague au sud de Salto: Création par Pascal Harriague (Basque d'Hasparren proche de Bayonne) en 1860. Il employait 150 personnes. Saladero fabriquant le Tasajo pour le Brésil et la Havane; cuirs et sébum pour l’Angleterre et la France; cendres et os pour les États-Unis. Pascal Harriague fut celui qui amènera le vin en Uruguay avec les cépages du Tannat (voyez mon article).
  • Saladero El Hervidero à l'embouchure de l'Arroyo (ruisseau) Hervidero: Fondé en 1837 par la Sociedad Francisco Juanicó y Nicolás Guerra. Il commencera à marcher comme un vrai saladero vers 1900.
  • Saladero de San Pedro, 60 km au nord de l’embouchure de l’Arroyo Guaviyú: Fondé par Pedro Piñeyrúa en 1879. Le plus important saladero du département de Paysandú avec 1000 ouvriers. 150 000 têtes de bétail/an. La majorité des employés étaient Basques et de Galicie.
  • Saladero Ritcher de Mac Coll & Cia: Fondé en 1873 avec des intérêts britanniques et qui se trouvait proche du port de Paysandú. Langues en conserve pour l’exportation en Angleterre
  • Saladero de Sacra à 2 km au sud de l'embouchure de l’Arroyo Sacra: Fondé en 1829 par Pedro Larraud et le Vicomte de Mauá.
  • Saladero de Casa Blanca à 15 km au sud de Paysandú: Fondé en 1812 sous le nom de petit saladero de Almagro mais en 1849, celui-ci deviendra la Grasería del francés / de Casa Blanca car l'acheteur fut le français Hypolite Doynnel.
  • Saladero de Santa Isabel (Estancia Santa Elisa) sur la rive gauche Arroyo Negro: Crée en 1856 par le français Paul Michel de la Morvonnais.
  • Saladero de Román situe à 60 km au sud de Fray Bentos au niveau de l'Arroyo Román: Créé par Philippe de la Morvonnais en 1855. Spécialisé dans la salaison de viandes et de cuirs. Exportation de vacunos en pie pour Buenos Aires
  • Saladero de M’Bopicuá situé à l’ouest de Fray Bentos (rive gauche du fleuve): Fondé par la compagnie River Plate Pressure Meat Preserving Company Ltd en 1871. Spécialisé dans les viandes en conserve et les extraits de viande.
  • Saladero Ricardo Hughes à l’ouest de Fray Bentos (rive gauche du fleuve): Fondé en 1850 par Hugues & Cia saladero. Deviendra la Giebert et Compagnie puis la Liebig Extract of Meat Company (LEMCO) en 1863. Sera l'usine qui fabrique l’extrait de viande selon le processus de Justus von Liebig (à partir de 1864). Par la suite, en 1924, prendra le nom des frigos Anglo del Uruguay S.A. (Lanchashire Company) jusqu'en 1971. A partir de 1971, le frigorifique devient propriété de l’État uruguayen mais fermera définitivement ses portes en 1979. De 1863 à 1979, on a dénombré 25 000 travailleurs répertoriés.
Et voila la fin de notre artcile sur les saladeros. Prochaine etape: Liebig en Uruguay

A bientôt.

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